De mauvais poil

(Printemps, An 1)

L'hiver aurait pu être une saison parfaite pour elle, un abri bien chaud contre la neige, de la nourriture à foison dès qu'elle en réclamait à son maître. Des parties de chasse au grand air et la louve grise qui avait disparue du jour au lendemain. Gaes était tout le temps collé à son humain, elle était totalement folle de lui, il était gentil, doux, serviable et doué à la chasse. Et tout le monde venait le voir pour les objets qu'il fabriquait. Mais tout avait basculé à la fin de l'hiver quand Elvio avait ramené une autre chienne. Plus âgée, la femelle crème était douce et timide, elle ne cherchait pas de noises à la rouge. Gaes avait fait la tête à son maître pendant plusieurs jours et refusé de manger mais ça n'avait servit à rien, l'autre femelle était là pour de bon. L'entente n'était pas tout à fait idéale, surtout de sa part mais elle s'était résignée à la présence de Willow.

Alors que la neige n'était presque plus qu'un lointain souvenir laissant place aux prairies d'herbes vertes, un nouveau drame arriva dans la vie de la femelle couleur sang. De nouveaux loups avaient débarqués. Toute une meute, de toutes les couleurs, allant du noir au blond, en passant par les roux, marron ou crème. Et le pire c'était que son humain avait décidé d'en ramener une rousse ! Gaes avait essayé de la chasser plusieurs fois, en montrant les crocs, en lui grognant dessus, etc. Mais après plusieurs remontrances de la part de son humain, elle attendait à présent le moment où il ne serait pas là pour la voir à l'oeuvre.

Elle cherchait au milieu du camp si par hasard son frère n'était pas revenu de son excursion avec son attelage, elle l'avait un peu délaissé durant l'hiver et commençait à le regretter. La chienne était frustrée et n'avait qu'une envie, passer ses nerfs sur quelque chose ou quelqu'un.

Tout était si nouveau ! Dans ce monde aux mille couleurs, Saskia se sentait étrangère. Rien ne lui ressemblait. D'ailleurs, rien ne ressemblait à ce qu'elle avait déjà connu. Il y avait tant à découvrir ici. De nombreux sons et odeurs parvenaient à ses sens. Au début, elle se focalisait sur son Entraineur. Il suffisait de le suivre en jetant des coups d'œil curieux à droite et à gauche. Rien de plus facile pour une louve. Mais très vite, elle fut engloutie. Son cerveau n'était pas préparé à ces vagues incessantes de nouveautés. Trop d'informations à capter et à déchiffrer. Son esprit à la fois intimidé et curieux n'aidait pas non plus. Sa concentration s'envola comme une nuée de moustiques. Et elle fut perdue. Physiquement et mentalement.

Où devait-elle porter son attention ? Comment faire le tri de tout çà ? Elle songea à son binôme. Il était son seul repère dans ce fouillis d'agitation. Il habitait ici. Donc, il connaissait forcément tout ce qui l'entourait. Il suffirait de ne pas le lâcher du regard et l'imiter, et tout se passerait bien. Ravie de sa déduction pleine d'optimisme, elle releva la tête et posa ses yeux sur la dernière position connue de son Guide. Catastrophe, il n'était plus là ! Ni même dans les environs ! Vite, elle devait le retrouver avant que l'appréhension du départ ne revienne la hanter.

Heureusement, elle avait remarqué un signe distinctif chez son Deux-Pattes : son odeur de poisson. Mettant en pratique ses leçons de traque, elle se mit à la recherche d'une piste olfactive. A fureter, elle finit par en dénicher une qui ressemblait un peu. Elle se mit à la suivre. Et elle aboutit devant une rangée de poissons qui fumaient comme le Bassin thermal. Sauf que ce qu'il y avait dessous ne ressemblait pas du tout à de l'eau. Déjà, elle ne connaissait pas l'existence d'eau orangée. En plus, çà bougeait comme les fougères sous le souffle du vent. Etait-ce des plantes ? Mais ce n'était pas çà qu'elle cherchait. Son flair l'avait trompée. Confuse, elle posa son postérieur au sol. Quelle solution lui restait-il maintenant ? Demander son chemin à la silhouette qui approchait, peut être ?

La chienne grommelait toute seule dans sa barbe, impossible de mettre la patte sur la silhouette grise et brune de son frangin. Ni même sur celle chocolat de son oncle, à croire que les mâles de sa famille avaient des humains qui s'occupaient d'eux et sortaient chasser ou faire des choses hors du camp. Elle était une chasseuse de petit gibier, rapide et légère, elle ne faisait pas de bruit ce qui n'était pas le cas de la louve rousse bien que plus jeune elle était plus large qu'elle, ni de la beige qui n'était pas vraiment faite pour autre chose que tirer un traîneau. Déjà qu'elle avait pas envie de partager Elvio, même en faisant comme si elles n'existaient pas, c'était impossible de sortir chasser avec son humain quand il était accompagné de l'une ou l'autre alors y elle avait renoncé.

C'était l'heure de la cuisine, et son estomac gargouilla à l'odeur alléchante, elle arriva près du foyer laissé sans surveillance, et déjà un des loups qui essayé de se servir. Malheureusement aucuns humains dans le coin pour l'engueuler, mais au moins elle avait trouvé un bouc-émissaire pour passer sa frustration. Elle s'approcha lente, les oreilles pendante aussi haute qu'il était possible pour elle.

- Qu'est ce que tu fais dans la gamelle des humains ?

Plus la silhouette approchait et moins elle ressemblait à quelque chose de connue. Ce n'était pas l'un de ses congénères qui serait perdu. Dommage, ils auraient pu s'entraider à retrouver mutuellement leur entraîneur. Cela leur aurait également permis de grappiller encore un peu de temps ensemble avant la grande séparation et le long travail qui les attendait. A la place d'un ami ce fut l'un de ces animaux, au physique semblable au sien et dont lui avaient brièvement parlé les adultes, qui s'avança à ses côtés. Une sorte de cousin dont elle avait malheureusement oublié le nom. Trop d’informations tue l’information.

Au vue sa posture, l'individu femelle ne sembla pas du tout intimidé ni même perturbé par elle. Saskia songea qu'elle devait être habituée à voir défiler des loups chaque année. Et si c'était vraiment une habituée, elle devait forcément connaître "Odeur de Poisson" ! Elle pourrait la conduire à lui et son errance serait enfin terminée ! Bon, par contre, elle ne semblait pas très contente. La sauvage ne comprit pas grand chose à ses paroles. Ga… quoi ? Ses pattes ne traînaient dans rien pourtant. Mais pour ne pas la vexer, elle lui offrit son plus beau sourire avant de s'exclamer joyeusement :

« Bonjour Petit-Loup ! Tes oreilles sont vraiment trop mignonnes ! Elles ont l'air toutes douces ! Je peux les toucher ? »

Son côté enfantin régnait toujours dans son esprit et elle venait de découvrir l'originalité des jolies oreilles pendantes de l'inconnue. Elle n'en avait jamais vu des comme çà. Sa curiosité n'attendait qu'un prétexte pour se manifester. Le retour à la "maison" attendrait plus tard.

La voleuse semblait avoir beaucoup d'aplomb pour ne pas être gênée d'avoir été surprise le nez dans la nourriture. Les loups semblaient se croire tout permis, comme si les humains leur appartenaient et que les chiens devaient se soumettre à leur taille imposante.

- Bonjour Petit-Loup ! Tes oreilles sont vraiment trop mignonnes ! Elles ont l'air toutes douces ! Je peux les toucher ?

Gaes faillit s'étrangler en entendant les paroles de la blonde. Elle osait se foutre de sa gueule en plus, la rabaisser au rang de... version miniature de ces monstres ? Ses parents n'étaient peut-être pas tous les deux de lignée de chasse mais malgré la diversité qu'il existait dans sa famille, elle était ce qu'il y avait de mieux pour la vitesse ! Bien loin de ses balourds lents et peu agiles.

- Je suis une chienne de chasse ! Pas un ... loup.

Le mot lui écorcha presque la langue en le prononçant, elle avait héritée des jolis oreilles tombantes de sa mère, ce n'était pas toujours pratique d'avoir de longues oreilles qui pouvaient revenir devant ses yeux, mais même si celles droite de son père auraient été plus pratique pour ça, elle les préférait ainsi, au moins elle pouvait s'en servir pour avoir les joues au chaud en ce couchant au sol ou ne pas avoir de vent ou de l'eau lui rentrant dans les oreilles à tout moment. Elle fit un mouvement de recul par peur que la femelle essaye de la toucher sans son accort.

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